FA1 – Plis

1993-1994, textes réunis par Bernard Lafargue

Blousant (kolpos) du péplos, chiton de lin plissé à l’ongle en arétes vives, plissage Fortuny, biais et “dégueulis” Madeleine Vionnet, “tissus cutanés” fixés par Clérambault semblent avoir toujours fasciné les artistes. Si Vasari raconte comment Léonard de Vinci plaçait des étoffes mouillées sur des modèles en terre glaise pour les-peindre ensuite patiemment sur des toiles très fines, Poussin s’érige “maitre de la draperie” tandis que Roger de Piles enseigne l’art de “bien distribuer les plis” ou de “jeter la draperie”. À moins que les plis du corps, les plis de l’âme (soma/sema) ne soient ces modèles que les drapés suggèrent… Corps polis et maquillés ou tatoués et scarifiés par la loi, le désir, le fantasme, l’art ; plis pris, lissés ou affichés dont témoignent les belles images ourdies par les penseurs dualistes de l’union de l’âme et du corps, les études anthropologiques ou les expressions populaires (prendre le pli, mettre au pli, être plié en deux, en quatre, être froissé, chiffonné, etc.). Né d’un pli (ptux) peut-être détaché d’un polyptyque, le tableau deviendra le “lieu virtuel” d’inscription de ces forces diverses qui tissent, plissent, déploient la toile innervée de rus de couleurs. Au frêle origami japonais s’opposerait la métaphore géologique du tableau occidental avec ses couches, sous-couches, glissements, plis anticlinaux, synclinaux… Si le pli essentiel est pour Heidegger « zwiefalt », c’est que la duplicité du pli pointe la scission originelle, la « différance » qui ne déplie l’un des bords qu’en repliant l’autre. Scellant le voilement au dévoilement, la profondeur a la surface en des tours et des contours, le paradigme du pli doit être comparé à celui du tissage, de la broderie ou des nœuds borroméens. Replis de la matière, plis sur plis de I’âme qui vont à l’infini, l’art baroque, selon Deleuze, se reconnaît sans doute aux plis bouffants des rhingraves juponnantes et des tuniques affolées où souffle un vent fiévreux, sensuel et mystique, aux plis bouillonnants qui excédent les limites du cadre pour se déployer en parerga, sculptures ailées de marbre polychrome, architectures rococo brodées ou dentelées, musiques polyphoniques, théâtre du monde. Dépliant oumétissant les arts, le pli leibnizien ou baroque n’apparait-il point comme un schème théorique particulièrement pertinent pour interroger non seulement le point pli de Klee ou le pliage de Hantai mais également le pli all-over, les combine paintings, assemblages, accumulations, emballages, fissures, shapedcanvases, structures minimales, nomadisme ou kitsch transavantgardien, etc. de l’art contemporain ? Métaphore de la monade faite “d’une infinité de petits plis qui ne cessent de se faire et de se défaire”, du moi, du miroir et de l’écho du moi, le pli en ses deux parois, en ses deux temps qui font le rythme est aussi l’objet par excellence de cette musique que Boulez nomme « polyphonie des polyphonies » comme de la littérature et de la poésie réflexives, piège du repliement et de l’intériorité, prodrome de l’éparpillement ou de l’éploiement dans le Livre, monade aux mille feuillets…

  • ISBN : 2-87817-070-9
    • Éditeur : SPEC, Mont-de-Marsan
      • Prix : 295 FF
        • 277 pages

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