2002-2003, textes réunis par Bernard Lafargue
Les artistes ont-ils encore besoin de mains ? De Lascaux à Picasso, dont Clouzot suit,fasciné, la main créatrice, il n’est bien sûr d’artiste que manuel, adroit, sinon virtuose. Jusqu’au vingtième siècle, l’histoire de l’art apparaît comme une histoire de savoir-faire, de manuels, de recettes d’atelier, qui se transmettent de maîtres en maîtres. Dans ses Leçons sur les Beaux Arts, Alain le rappelle fermement à ceux qui s’extasient devant le génie de l’artiste inspiré: “Artisan d’abord!”
En lançant la mode de la tabula rasa et du primat du concept, dadaïstes et duchampiens ont-ils poussé les artistes à devenir manchots ? C’est ce que peut nous donner à penser le très grand nombre d’artistes qui, aujourd’hui, dédaignent la main; les uns préférant faire de l’art avec leurs pieds, leur sexe, ou leur corps tout entier, les autres déléguant la fabrication de leurs œuvres à des machines, des entreprises, des artisans, des animaux, des plantes, des choses, des petits riens, du vide, voire à des sortes de nègres.
À côté de ces héritiers du courant “acheiropoiete” de la modernité, le pluralisme postmoderne a ouvert la voie à deux nouveaux types d’artiste-artisan: le designer du beau et “la petite main”. Suivant le modèle de Warhol, le désigner des arts appliqués en tout genre fait une entrée triomphale dans les expositions d’art contemporain. Les maquillages de Topolino, les coiffures de Barnabé, les parures de Patrick Veillet, les robes d’Issey Mikake, Jean-Paul Gauthier, Rei Kawakubo ou Alexander McQueen, le ménager de Philippe Starck ou Gaetano Pesce paradent désormais dans des musées métamorphosés en drugstores à côté des robes de Lucy Orta, Majida Khattari, Marie-Ange Guilleminot ou Aline Ribière, des bijoux de Duprat, des vidéo-performances du mannequin Barney, des modèles de Vanessa Beecroft, des Mickael Jackson en porcelaine polychrome de Jeff Koons, des plats cuisinés de Spoerri etc… comme pour nous donner à croire que les arts décoratifs sont devenus désormais le modèle de la création artistique. L’artiste en “petite main”, quant à lui, préfère chercher son inspiration dans la geste des petits métiers en voie de disparition. Il fait de l’art en faisant de la couture, de la broderie, de la cuisine, des installations bric-à-brac, et même parfois de la peinture, de la sculpture ou de la verrerie.
- ISBN : 2-87817-094-6 / ISSN : 1265-0692
- Éditeur : PUP, Pau
- Prix : 39€
- 516 pages
- Prix : 39€
- Éditeur : PUP, Pau