Appel à article FA41 – Le récit auto-pornographique en art contemporain : une stratégie critique des genres

Coordinatrices : Claire Lahuerta (UL / CREM, Centre de Recherche sur les Médiations)
et Mélodie Marull (UL / CREM, Centre de Recherche sur les Médiations)

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Résumé

Les théories féministes et théories queer se retrouvent sur la lutte contre des discriminations, la nécessité non négociable de faire admettre les genres dans leur pluralité, sans prédominance du masculin « cis » (c’est-à-dire dans son alignement rigoureux biologique-social) sur les autres genres, et avec la volonté de rendre non seulement visibles mais légitimes celles/ceux qui – en nombre peut-être parfois, mais non sans importance – existent en minorité : ce fût les homos, c’est encore les personnes trans, bi·es, lesbiennes etc. Cette perspective commune, pourtant menacée par les instrumentalisations des luttes, notamment lesbiennes au profit de discours transphobes, est nodale dans l’articulation de pratiques et de savoirs destinés à rendre visible mais à protéger, à être partagés mais préservés.

Argumentaire

« Il faut être clair sur les intérêts qui motivent à étudier certaines expériences quand elles ne sont pas les vôtres. Nous en avons assez de toutes ces tentatives de recodage de la neutralité sous de faux noms. Qui peut parler pour qui ? En fonction de quels intérêts ? (…) On a vu le terme « queer » être utilisé pour désigner n’importe quoi de vaguement non normatif, n’importe quelle perspective critique sur tel ou tel sujet (genre « queerisons ci », « queerisons ça »…) et plus particulièrement des pratiques qui avaient l’air « transgressives » (quel que soit le sens donné à ce terme aux yeux de plusieurs chercheurs·euses, sans trace de « queer » dans leur approche méthodologique ou sans que les cadres, les méthodes ou l’épistémologie straight et conservateurs soient interrogés. Bien au contraire : ils étaient maintenus bien en place pour passer pour « scientifiques ». (…) Si on ne s’interroge pas sur sa positionnalité, même le savoir le plus critique et le plus subversif redevient un outil au service des classes dominantes. » (En grève du travail universitaire et de l’université ! Déclaration de l’Aquila par les grévistes transféministes de la conférence CIRQUE, 31 mars-2 avril 2017. Version française de la déclaration initialement publiée en italien et anglais, reproduite par Sam Bourcier in HOMO INC. Orporated, Le triangle et la licorne qui pète, éd. Camboukaris, 2017, p. 239-240.)

Les théories féministes et théories queer se retrouvent sur la lutte contre des discriminations, la nécessité non négociable de faire admettre les genres dans leur pluralité, sans prédominance du masculin « cis » (c’est-à-dire dans son alignement rigoureux biologique-social) sur les autres genres, et avec la volonté de rendre non seulement visibles mais légitimes celles/ceux qui – en nombre peut-être parfois, mais non sans importance – existent en minorité : ce fût les homos, c’est encore les personnes trans, bi·es, lesbiennes etc. Cette perspective commune, pourtant menacée par les instrumentalisations des luttes, notamment lesbiennes au profit de discours transphobes, est nodale dans l’articulation de pratiques et de savoirs destinés à rendre visible mais à protéger, à être partagés mais préservés.

Après un premier mouvement essentialiste (Fouque), les féministes de la 2e vague (matérialistes – Wittig, Kristeva) ont apporté un regard critique sur les rapports de force entre les genres, y compris dans les « arrangements » ou les formes de sexisme intériorisé (plafond de verre). La 3eme vague a été plus inclusive (Guerilla Girls, Riot grrrl), intégrant aux combats les autres champs des minorités : de sexe, de race et de genre notamment.

Les critiques queer (Butler, De Lauretis, Bourcier) ciblèrent quant à elles à partir des années 1990 les notions de genres, leurs typologies et le cadre binaire (homme/femme – homo/hétéro) explorant d’autres nuances, constructivistes. Suivirent une critique du biopouvoir (Foucault / Preciado) et la dénonciation de la binarité de genre comme creuset des oppressions. La pensée queer se situe en opposition aux modalités hétérocisgenres, s’appuyant sur les subcultures minoritaires sexuelles et sociales en marge de la « normativité » corporelle (Vigarello, Le corps redressé).

Pour l’essentiel, les théories queer se sont singularisées des postures féministes (y compris du féminisme radical – Solanas ; libertaire – Ch. Delphy ; ou du transféminisme – K. Espineira) voire des questions de genre. Eve Kosofsky Sedgwick apporte au débat un point de vue nouveau (Épistémologie du placard, 1990) : l’importance de la subjectivité (et la dimension affective, émotionnelle) dans les actions militantes et scientifiques, à savoir que l’impératif d’objectivité, notamment scientifique, écrase la dimension incarnée des initiatives politiques alors qu’elle est un marqueur fort de l’auto-identification, et entretient par ailleurs l’ignorance des parcours singuliers par les porteurs dominants (hétéro cis blancs par exemple), ou a contrario leur « validisme ». C’est ici qu’elle déconstruit le concept d’identité, qui ne doit plus être seulement une construction sociale (ni une donnée purement biologique ou genrée) mais un ensemble de dynamiques vivantes.

Elle insiste également sur la récupération culturelle faite du queer aussi bien par l’hétérocentrisme que l’homonormativité y compris dans les sciences, laissant symptomatiquement à la marge au moins deux champs des LGBT : les bis et les trans. Sedgwick parle alors d’identification plutôt que d’identité (dans une logique de rattachement).

Elle déploie enfin un second levier, qui nous intéresse ici dans la logique argumentative : il s’agit de la notion de performativité. La performativité, chez Sedgwick, se traduit par une expressivité traversante, transversale et polymorphe (typiquement queer, c’est à dire fluide et en perpétuel devenir) qui prend forme dans une multitude d’expressions et de productions, pour venir ensuite impacter la sphère sociopolitique par des actions théoriques, artistiques, activistes ou pédagogiques.

La performativité n’est donc pas à entendre ici au sens plasticien du terme, ni même spectaculaire des drag ou des camp (Sontag), mais bien politique : il s’agit de penser le collectif dans sa force tactique, tout en retenant le premier axiome de Sedgwick : « les gens sont différents les uns des autres ».

C’est depuis ce postulat, seulement, que la question de l’art fait sens dans cette problématique. Jean-Claude Moineau écrit, en tête de son ouvrage intitulé Queeriser l’art (2016), qu’il ne s’agit pas de « promouvoir un art queer (…) et encore moins de vouloir esthétiser ou “artistiser” la pensée et la pratique queer. C’est renoncer définitivement à toute ontologie comme à tout paradigme, c’est rejeter toute prétention de la catégorisation (…). »

Or, si l’on croise ces définitions, ou ces précautions, avec le terrain plus politique du queer, on remarque deux éléments : il faudrait pouvoir sortir de la volonté de pluraliser les modèles, qui sont autant de points d’achoppement favorables aux stigmatisations et à la récupération. On se trouve ici du côté des utopies pirates qui ont pour objectif d’exister tout en étant insaisissables et indéfinissables. La méthode qui permettrait alors d’y accéder, si elle ne se situe pas parmi les paradigmes discursifs normatifs, est à chercher du côté des stratégies militantes à savoir : les luttes, le manifeste, l’insurrection, l’émeute (riot), les contre-cultures, l’activisme (Guerrilla girls).

Des radicalités par l’action artistique et politique

Émergent alors quelques initiatives, forcément marginales, qui sont portées par des actions artistiques et profondément politiques : il s’agit, par exemple, du pornoterrorrisme (Post Op, Fuck the Fascism, Quimera Rosa), du pornqueer qui se déploie dans les festivals artistiques (Pornyourself, qui associe film, performance et workshop militants), des festivals transféministes, féministes radicaux ou libertaires qui passent, eux aussi, par l’articulation œuvre/discours et qui diffusent via des réseaux militants. La radicalité des actions semble être la seule voie possible. Elles dessinent peut-être le post-queer, c’est-à-dire cet au-delà radical et intransigeant, qui s’agite dans la définition politique d’une sortie identitaire, qui ne soit pas pour autant la négation des singularités ni celle de la force du collectif.

Le politique au risque de l’institution / l’institution au risque du politique

L’université, qui peine à s’émanciper d’une conception négationniste, ou au mieux assimilationniste, accusée par les subcultures de capitaliser sur le dos des minorités mutiques, ouvre aujourd’hui une –prudente– voie(x) à la parole incarnée, depuis l’intérieur, par quelques rares acteurs·ices présent·es dans le champ scientifique, artistique et queer ou post-queer militant. « Il serait peut-être temps d’en tirer les conclusions qui s’imposent dans la manière de militer, très personnalisée, tout en complicité avec les pouvoirs publics, les institutions et les politiques. (…) La seule manière de lutter, c’est de travailler véritablement et de construire un véritable esprit communautaire qui respecte et reconnaisse ses propres experts et ses activistes, au lieu de se pendre aux basques du premier universitaire ou politique straight venu. » (Sam Bourcier, in GROSSET, Quentin et CARMELO, Bruno (s.d.). « Le Queer vu par Marie-Hélène Bourcier ». Ganymède : culture et sexualité, 4.)

Le présent appel tend à réunir des textes qui décryptent les pratiques politiques et artistiques radicales associées à l’affirmation et à la matérialisation de discours (post)queer. Les textes proposés pourront explorer les postures, parfois difficiles, croisant les contextes politiques, militants, scientifiques et discursifs, épistémologiques et artistiques. Les analyses de terrains spécifiques et les ancrages dans des pratiques et des savoir situées sont encouragés.

Les propositions de textes peuvent émaner de chercheur·es, jeunes chercheur·es ou militant·es : une affiliation institutionnelle ou un lien avec le monde universitaire n’est pas requis pour l’envoi d’une proposition.

Des gestes et images de dénonciation ou de retournement des violences des dominant·es jusqu’aux pratiques centrées sur le care et bien-être individuel et collectif, les thématiques abordées auront en commun une place importante accordée au récit de soi. Place pourra également être faite à la mise en récit d’expériences et/ou à la création d’espace et de temps pour l’expression des autres.

Modalités de soumission

Les propositions, rédigées en français, doivent comprendre :

  • Le nom et email(s) de l’auteur·ice ou des auteur·ices
  • Une présentation succincte de l’auteur·ice ou des auteur·ices, de 200 mots maximum
  • Le titre
  • Un résumé d’une longueur de 500 mots maximum
  • Une liste de 5 mots clés
  • Une bibliographie essentielle

Les propositions devront être envoyées au format Word, par mail aux deux responsables du numéro :

Pour le 29 décembre 2022.

Une réponse sera donnée rapidement ; la remise des textes définitifs (si accord) est fixée à avril 2023.

Comité scientifique

  • Claire Lahuerta (UL / CREM, Centre de Recherche sur les Médiations)
  • Mélodie Marull (UL / CREM, Centre de Recherche sur les Médiations)

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